Le phénomène de l’apnée de l’email a été introduit par Linda Stone, une ancienne employée d’Apple et de Microsoft, qui affirme que jusqu’à 80 % des utilisateurs d’appareils électroniques cesseraient de respirer ou adopteraient une respiration irrégulière lorsqu’ils lisent ou écrivent des emails. Ce concept a depuis été largement relayé dans les médias et par certaines communautés de bien-être. Cependant, aucune étude scientifique rigoureuse ne vient confirmer cette hypothèse, et des experts comme l’otorhinolaryngologiste français Jacques Samson soulignent que les affirmations de Stone ne reposent sur aucune documentation sérieuse.
Cela étant dit, même en l’absence de preuves formelles, il est bien établi que la concentration prolongée et l’activation du système nerveux autonome influencent la respiration. Si l’”apnée de l’email” en tant que phénomène spécifique reste à démontrer scientifiquement, il est néanmoins intéressant d’examiner les liens entre concentration intense, respiration et fonctionnement du cerveau.
Physiologie de l’apnée de l’email : mythe ou réalité physiologique ?
Même si le concept d’apnée de l’email n’a pas été validé par des études scientifiques rigoureuses, il est reconnu que l’immobilité devant un écran, associée à une tâche mentale exigeante, peut modifier la respiration. Voici ce qui pourrait expliquer ce phénomène :
- Activation du système nerveux sympathique : Lorsqu’on se plonge dans une tâche cognitive intense, le cerveau active un état de vigilance accru, souvent interprété comme une réponse au stress léger. Cette activation tend à modifier la respiration, la rendant plus superficielle, irrégulière voire suspendue momentanément.
- Posture et immobilité : Une posture statique devant un écran peut comprimer légèrement le diaphragme et limiter l’amplitude respiratoire, ce qui contribue à une respiration réduite.
- Fixation visuelle et concentration : En fixant un écran, les mouvements oculaires diminuent et le cortex préfrontal est fortement mobilisé, ce qui peut inconsciemment réduire la fréquence respiratoire.
Même si ces éléments peuvent expliquer des pauses respiratoires inconscientes, ils ne permettent pas d’affirmer qu’un véritable phénomène d’apnée prolongée et systématique existe.
Pourquoi cela se produit-il ?
Le lien entre concentration et respiration réduite peut être expliqué par les mécanismes neurologiques du cerveau :
Le cerveau reptilien et la respiration inconsciente
En situation de concentration intense, le cerveau adopte une stratégie archaïque issue de l’évolution. Lorsque nous devons nous focaliser sur une tâche qui demande une attention extrême (comme lire un email important ou rédiger un rapport), notre cerveau tend à prioriser la vigilance et la réactivité.
- Le cerveau reptilien et le système limbique prennent le dessus sur le cortex préfrontal, limitant les processus cognitifs complexes pour favoriser des réponses plus instinctives.
- Cette “prise de contrôle” du cerveau primitif influence la respiration, qui devient brève, irrégulière ou suspendue – un mécanisme issu de nos réflexes de survie.
- Ce phénomène est similaire à l’effet de sidération que l’on peut observer en cas de surprise ou de concentration extrême.
Pourquoi cette réponse n’est-elle pas adaptée aux tâches cognitives ?
Bien que ce mécanisme ait pu être avantageux dans un contexte de survie, il n’est pas optimal pour l’exécution de tâches de haut niveau intellectuel.
En effet :
- Une respiration irrégulière perturbe l’apport en oxygène vers le cortex préfrontal, qui est essentiel pour la prise de décision et l’analyse complexe.
- Une activation prolongée du système nerveux sympathique entraîne une baisse de la variabilité cardiaque, ce qui réduit la capacité du cerveau à s’adapter et à fonctionner efficacement.
- Le déficit d’oxygénation altère la concentration et la mémoire, augmentant la fatigue cognitive et le risque d’erreurs.
Ce que met en place notre cerveau pour améliorer la concentration finit donc par la détériorer. La seule façon de reprendre le contrôle de notre pleine capacité cognitive est de ramener la respiration à la conscience.
Impacts négatifs d’une respiration inconsciente en situation de concentration
Une respiration irrégulière ou bloquée devant un écran peut avoir plusieurs conséquences physiologiques et mentales :
1. Augmentation du Stress et de l’Anxiété
- Un schéma respiratoire superficiel ou suspendu entraîne une accumulation de CO₂, qui peut stimuler des sensations de stress et d’inconfort.
- Une hyperventilation compensatoire après des périodes d’apnée peut également aggraver cet état de stress.
2. Diminution de la Clarté Mentale et de la Concentration
- Le cerveau consomme environ 20 % de l’oxygène total du corps. Toute diminution de l’apport en oxygène peut provoquer une baisse de la concentration, du raisonnement et de la mémoire de travail.
- Les personnes concernées peuvent ressentir une baisse d’énergie et une sensation de brouillard mental.
3. Impact sur la Variabilité Cardiaque et la Fatigue
- Une respiration bloquée réduit la variabilité cardiaque, ce qui peut affecter la régulation du stress et de l’adaptation physiologique.
- Une mauvaise oxygénation cérébrale accélère la fatigue mentale, réduisant la capacité à maintenir un effort cognitif prolongé.
4. Conséquences Musculaires et Posturales
- Une respiration réduite tend à mobiliser principalement les muscles du haut du thorax, ce qui peut entraîner des tensions dans le cou et les épaules.
- La posture voûtée devant un écran limite encore davantage l’amplitude respiratoire, créant un cercle vicieux de tension et de respiration inefficace.
Comment y remédier ?
Heureusement, il existe plusieurs solutions simples pour éviter les effets négatifs de l’apnée de l’email et optimiser son fonctionnement cognitif.
1. Prendre Conscience du Phénomène
- Observer sa respiration lorsqu’on est absorbé par une tâche.
- Se poser la question : “Suis-je en train de respirer librement ou est-ce que ma respiration est bloquée ?”.
2. Pratiquer la Respiration Consciente
- Technique du souffle nasal : Inspirer lentement par le nez, en laissant le diaphragme s’étendre, puis expirer doucement. Ressentir le flux d’air au contact des narines.
- Rythme 3:6 : Inspirer sur 3 secondes, expirer sur 6 secondes pour réguler le système nerveux.
- Utilisation du humming (Brahmari) pour stimuler la production d’oxyde nitrique et améliorer l’oxygénation.
3. Faire des Pauses Respiratoires
- Toutes les 30 à 45 minutes, interrompre son travail pour respirer, et surtout expirer, profondément et bouger.
- Pratiquer quelques étirements thoraciques et diaphragmiques pour relâcher les tensions.
4. Optimiser sa Posture
- Adopter une posture ouverte, avec un dos droit et une respiration diaphragmatique non entravée.
- Élever l’écran à hauteur des yeux pour éviter la compression du thorax.
5. Utiliser des Rappels et Applications
- Programmer des alertes pour respirer toutes les demi-heures. La technique du Pomodoro pour séquencer son travail est intéressante
- Tester des applications pour guider la respiration.
Conclusion
L’apnée de l’email, bien que non prouvée scientifiquement, met en lumière un phénomène bien réel : notre respiration est influencée par nos états mentaux et cognitifs. Bien que le cerveau puisse inconsciemment suspendre ou modifier la respiration pour améliorer la concentration, ce mécanisme se révèle contre-productif pour des tâches intellectuelles de haut niveau.
Seule une respiration consciente et maîtrisée permet de reprendre le contrôle, d’optimiser l’oxygénation du cerveau et de libérer pleinement nos capacités cognitives.